Bernard Clarisse
Il y a quelques années en visite chez Bernard Clarisse Porte de Saint-Ouen à Paris, je découvris une première série de quatre portraits sur des grands formats en toile écrue. Il s’agissait de Bob Ryman, Roman Opalka, Robert Rauschenberg et Francis Bacon. Je remarquais sur le front de ces illustres personnalités du monde des arts plastiques, une marque, un mot en grec classique en lettres d’or. Bernard m’expliqua qu’il l’avait utilisé pour dire leur mégalomanie. Je fus tout de suite acquis à ce que je perçus comme une démarche possible, le prolongement d’un engagement, car Bernard Clarisse est depuis de nombreuses années un artiste qui s’oppose aux pouvoirs écrasants dans la vie comme dans l’art, et, nous savons à quel point avec l’art conceptuel, les deux sont désormais liés. Déjà en 1988, il décrivait l’assassinat des taupes par les paysans normands. Il en fit des tableaux creusés ou en reliefs qui me passionnèrent, lorsque j’en pris connaissance, tout d’abord, comme lecteur de Rémy de Gourmont et de ses physiques de l’amour - essai sur l’instinct sexuel. Condisciple d’Alfred Pacquement, Bernard Clarisse qui fut agrégé d’arts plastiques, et donc professeur pendant de longues années ( notamment à l’IUFM de Rouen ) est un analyste de l’histoire de l’art, avec lequel, je partage beaucoup de convictions. Qu’il en vint à décrire l’omniprésence d’une forme d’art désormais empirique et figée dans ses concepts, qu’il choisisse de les moquer en leur infligeant le port de cette inscription qui signifie grand, mais doit-être perçu ici comme mégalo, me décida à l’encourager, à le soutenir jusque dans la mise en place de cette exposition, où figure pour la première fois, les nobles visages de Frédéric Mitterrand, Christian Boltanski, Orlan, Sophie Calle, Annette Messager, Claude Lévêque, Hou Hanru, Thierry Raspail, Fabrice Bousteau, François Pineau, Massimo Cacciari ( philosophe célèbre et maire de Venise ), Jean-Michel Basquiat. Vous aurez compris qu’il s’agit d’atteindre toutes les composantes d’un univers qui rencontre de plus en plus de difficultés à protéger son audience, son pouvoir. Même, si la Xe Biennale d’Art Contemporain de Lyon est une formidable vitrine et une réussite incontestable, elle a du mal à ne pas laisser transparaître un certain malaise. La prestation d’Agnès Varda de ce point de vue est assez pathétique, sa découverte de l’art contemporain est aussi affligeante que celle de Jacques Truphémus, peintre de l’école lyonnaise (que j’ai croisé au vernissage aux côtés de nos mégalos politiciens locaux, Gérard Collomb, Jean-Jacques Queyranne, Yvon Deschamps, Erick Roux de Bézieux, etc). Comment croire à ces reconversions de l’extrême ? L’Art Contemporain, s’il nous offre souvent l’occasion de nous ouvrir sur le Monde, est aussi parfois un immense piège à gogos. La tentative de démystification entreprise par Bernard Clarisse s’avère donc tout à la fois exemplaire et salutaire. Il n’est nullement question de choquer ou d’être irrespectueux. Il s’agit seulement de donner à réfléchir sur le statut de gourou que s’attribuèrent certaines de ces stars, aussi bancables pour certaines que François Cluzel, Danny Boon et Yvan Attal, ou, un nouveau dieu du stade comme André-Pierre Gignac. Si un temps l’Art contemporain excluait, désormais, il tente de rassembler à l’image de la Biennale de Lyon et de ses initiatives comme Résonnance, et Veduta. Nous pénétrons profondément dans une époque de doutes et de confusions, les œuvres de Bernard Clarisse apportent une dose de dérision et d’humour qui nous aident à prendre de la distance avec notre époque, et quelques-uns de ses acteurs les plus identifiables. Alain Vollerin